Vers un monde de troc
C’est la forme d’échange économique la plus vieille du monde et elle revient aujourd’hui à la mode pour incarner une certaine modernité. Le troc est remis en selle par l’économie sociale. De nos jours, on ne troque plus seulement des objets, mais aussi du temps, de l’entraide, du savoir, des compétences, de l’attention aux autres. Toutes sortes de choses de la vie quotidienne qui entretiennent des solidarités, alimentent des réseaux et nourrissent la convivialité, le " vivre ensemble ". Avec les systèmes d’échange partagés se développe une économie invisible qui rend de grands services. Surtout lorsqu’elle est démultipliée par des initiatives d’épargne et de crédits originales. En quelques exemples, voici un tour du monde (loin d’être exhaustif) de la planète solidaire.
France
Les Sel de la terre
Grégoire initie Bernadette à Internet. Laquelle fait découvrir la cuisine provençale à Mélusine, qui elle-même garde les enfants de Bertrand. Quelque 40 000 Français se rendent ainsi service, aujourd’hui, à travers des systèmes d’échanges locaux, plus connus sous le nom de Sel. Lancés en 1983 en Ariège, ils représentent aujourd’hui près de 400 réseaux, présents dans 93 départements. Le principe est simple : échanger des biens, des services et des savoirs, par le biais d’une " monnaie " locale. Pas de francs ni d’euros en circulation dans ces nouveaux réseaux citoyens. Les adhérents détiennent un compte à la Banque des Sel. Chaque coup de main, chaque enseignement y est comptabilisé en monnaie fictive. Certains comptent en grains de Sel. D’autres en piafs ou en fleurs. La plupart des groupes accueillent entre cent et deux cents adhérents. Les Sel ruraux s’adressent souvent à une population aux faibles moyens. Les citadins, davantage à des adhérents désireux de sortir de l’anonymat des grandes villes. Aucun Sel ne ressemble à un autre. C’est leur force et leur faiblesse. Il y a trois ans, des artisans du bâtiment, en Ariège, ont intenté un procès à des adhérents. Motif : la construction d’un toit dans le cadre des Sel aurait occasionné une concurrence déloyale. Ils ont perdu en appel, mais l’épisode a marqué les esprits. Pour éviter une telle mésaventure, le Sel de Paris souhaite qu’une loi reconnaisse officiellement l’existence de ces nouveaux systèmes d’échange. Mais, il est sans doute encore un peu tôt pour figer un mouvement par essence évolutif, qui n’a pas dix ans d’existence. Étienne Séguier
États-Unis
Le time-dollar de l’entraide
À 72 ans, Barbara se sent parfois trop fatiguée pour faire ses courses au centre commercial le plus proche. À Brooklyn, les escaliers des immeubles sont raides. Alors, deux fois par semaine, elle fait appel à Jeffrey, 34 ans, qui habite à deux rues de chez elle. Jeffrey gagne ainsi deux time-dollars. Il les réutilise en les donnant à la jeune fille qui vient, deux heures par semaine, donner des cours de soutien scolaire à son petit garçon. Barbara, quant à elle, récupère ses deux time-dollars dépensés en lisant des contes aux enfants de son quartier le samedi après-midi… Dans trente villes des États-Unis, des communautés se sont formées pour bénéficier de cette nouvelle monnaie non imposable. Elles peuvent aussi bien regrouper 200 personnes âgées, qui souhaitent pouvoir trouver de l’aide à tout moment, comme à Miami, que 70 000 individus de tous âges, comme dans cette banlieue pauvre de Saint-Louis. Pour chaque service rendu, un certificat est signé par le bénéficiaire. Une Time Bank gère les comptes de chacun et centralise offres et demandes de service. " Le time-dollar repose sur l’idée que tout le monde a besoin de tout le monde ", explique Edgar Cahn, président fondateur du Time Dollar Institute de Washington. " C’est un moyen pour les étrangers de devenir des voisins, pour les voisins de devenir des amis. Dans ce système, même ceux qui ne bénéficient pas l’économie de marché ont aussi une richesse à offrir. "
Japon
Les héritiers du yui et du ko
Au premier regard, ce sont des associations comme les autres. Leurs membres consacrent du temps à des personnes âgées ou handicapées, leur apportent de l’aide ou des soins. Rien que de très classique. L’originalité du système réside dans la " rémunération " des " bénévoles ". Ils possèdent un " livret épargne-temps " qui ressemble aux livrets délivrés par les banques. Ils y accumulent leurs heures de travail sous forme de points. Chacun peut, ensuite, utiliser ce " crédit-temps " afin de bénéficier de services similaires ou différents, pour lui-même ou sa famille. Ces systèmes d’assistance sont encouragés par les pouvoirs publics comme complément efficace aux services assurés par l’État. Créée en 1999, une commission composée de fonctionnaires et de citoyens fixe le cadre des activités que ces associations prennent en charge, ainsi que les aides financières dont elles bénéficient. Depuis mars 2000, ce Conseil national d’entraide assure de manière collective la formation des bénévoles. De tels réseaux d’échange ne sont pas nouveaux au Japon. Autrefois, la société traditionnelle fonctionnait avec le yui (réseau d’entraide pour le repiquage du riz, par exemple) et le ko (financement mutuel reposant sur des dépôts en argent et en nature). l Adélaïde Colin
Italie
Des banques qui stockent le temps
Valoriser leurs activités du quotidien, non salariales, c’est le défi que s’est lancé au début des années 90 un groupe d’Italiennes de la région de Bologne. En 1991, la première Banque du temps y est créée, sur les mêmes principes que les Time Banks américaines : elle organise les emplois du temps des volontaires selon l’offre, la demande et les compétences de chacune, puis comptabilise les heures en crédit ou en débit. Aujourd’hui, plus de 260 Banques du temps, qui regroupent entre dix à 100 personnes, sont recensées à travers toute l’Italie. Les Banques du temps ont une spécificité : le lien très fort avec les administrations locales, qui sont, dans presque tous les cas, à l’origine de leur création. Mairies et services sociaux offrent finances, parfois locaux. L’administration répond ainsi à une revendication des Italiens exprimée dans un débat sur le " mieux vivre social " qui a traversé les années 80. Même si beaucoup d’associations viennent à fermer, car le " réseau d’échange " ne fonctionne pas toujours, le système des Banques du temps reste un excellent moyen de resserrer le tissu social… et de valoriser le temps des femmes italiennes, dans une société qui les cantonne à un rôle traditionnel. l Dorothée Drevon
Argentine
Le troc contre la crise
Comme dans le conte, c’est une simple citrouille qui a transformé leur vie. En 1995, des voisins solidaires de la banlieue de Buenos Aires, ont donné naissance au troc par hasard, en échangeant un surplus de potager. L’expérience, d’abord locale, devint rapidement régionale, puis nationale. En trois ans, des milliers de familles argentines, victimes de la crise et du chômage, et qui ne bénéficient ni du RMI, ni de l’assurance chômage, ni d’allocations familiales, ont adhéré aux clubs de troc. Aujourd’hui, ils sont plus de 400 000 à échanger des produits ou des services, dans les 500 clubs de troc reliés par le Réseau global. Grâce à ce système élaboré de centralisation et de comptabilité en micro-crédits, la " monnaie sociale " qui matérialise le troc est devenue une réponse efficace à la détérioration de la qualité de la vie. Le gouvernement a vite compris l’importance de cette économie solidaire. Il a déclaré le système " d’intérêt social ". l Claire Lamotte
Québec
Des syndicalistes capitalisent
Travailleur et actionnaire ! Au Québec, le principal fonds de pension est détenu par le premier syndicat de la Belle Province : la Fédération des travailleurs du Québec. Plus de 400 000 travailleurs lui ont confié leur pécule afin de s’assurer une meilleure retraite, soit près d’un actif sur neuf. Les ambitions de ce fonds n’ont pas varié depuis sa création en 1983 : faire fructifier les économies de ses actionnaires et maintenir l’emploi. Sur dix ans, ce Fonds de solidarité - son nom officiel - peut se targuer d’une rentabilité en moyenne de l’ordre de 7 %. Côté emplois, 1 600 entreprises ont bénéficié de ses investissements. Avec, à la clé, la sauvegarde ou la création de 90 000 postes. Le fonds investit aussi bien dans les entreprises classiques que dans les jeunes pousses prometteuses. Il a ainsi été le premier à croire en l’avenir des biotechnologies. Aucune initiative similaire n’existe pour le moment en France. Mais cet automne, la CFDT a exprimé son intention de suivre cet exemple, histoire de peser de l’intérieur sur la mondialisation. l E.S.
Cameroun
Le coup de pouce du micro-crédit
À Ekounou, quartier populaire perché sur une colline verdoyante de Yaoundé, l’atelier de couture d’Estelle connaît une renommée enviable. Il y a encore deux ans, cette Camerounaise de 23 ans gagnait sa vie au coup par coup, en reprisant à l’aiguille pantalons et boubous ou en vendant des beignets sur le bord de la route avec sa tante. C’est une femme de son quartier qui lui a conseillé d’aller voir l’antenne d’Action contre la faim présente à Ekounou. Celle-ci prête de l’argent aux femmes souhaitant démarrer une activité de production ou de vente. Avec 15 000 francs CFA (150 F ou 22,87 euros), Estelle a pu acheter une machine à coudre à pédale et monter ainsi son petit atelier. La pièce est minuscule, en béton et tôles ondulées. Mais les deux grandes ouvertures offrent une bonne luminosité. Aujourd’hui, Estelle fabrique des vêtements sur mesure, mais aussi des sacs, des poupées. Son frère travaille avec elle, sur la machine. À eux deux, ils ont pu rapidement rembourser la petite somme prêtée et font vivre une famille élargie : père, mère, aïeux, cousins. Si Estelle n’a pas hésité à se lancer dans l’aventure, c’est parce que le système du prêt ne lui était pas inconnu : la pratique traditionnelle de la tontine permet depuis longtemps aux femmes africaines de mener à bien des projets grâce à une mise de fonds commune, dans les villages ou les quartiers. Les institutions publiques (ministère des Affaires étrangères, Agence française pour le développement), les ONG et les sociétés privées s’intéressent au micro-crédit depuis le succès de l’initiative lancée au Bangladesh dans les années 70. Ce type de financement connaît un succès grandissant au Cameroun, et dans toute l’Afrique. Cependant ses limites sont connues. Le micro-crédit permet, certes, de lutter contre la pauvreté. Mais uniquement dans les zones qui bénéficient déjà d’une activité diversifié
Sur ce même thème "Reconsidérer la Richesse" :
– article précédent "10 poncifs sur la richesse"
– suite de cet article : Redonner du sens aux mots
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