« Rien n’arrête une idée dont le temps est venu », c’est sur ces mots de Victor Hugo que Maître François-Xavier Kelidjian, avocat de la LPO (Ligue pour la Protection des Oiseaux), a conclu sa plaidoirie du 30 avril 2007. Pour la LPO, le temps est venu que soit prise en compte cette idée nouvelle et inéluctable de la reconnaissance du vivant non-commercial. Elle a donc défendu cette idée, devant le Tribunal correctionnel de Paris, pendant les quatre mois du procès de l’Erika (12 février-13 juin 2007).
Pour la reconnaissance du vivant non commercial
C’est en particulier sur le dernier point : la reconnaissance du vivant non-commercial, que La LPO entend obtenir satisfaction. Ainsi, au cours de sa plaidoirie, Maître Kelidjian a rappelé à M. Parlos, Président du tribunal : « Vous avez la charge de faire droit à la reconnaissance du vivant non commercial, et je crois que c’est bien le rôle d’un Tribunal correctionnel. Oui, vous avez l’occasion de faire évoluer les choses et votre décision, au-delà du sort des uns et des autres, sera lue, commentée sur le plan national, européen, et international. Cette décision va faire œuvre de droit et c’est sur cet espoir que je vous demande d’accueillir mes conclusions ».
Maître Kelidjian, a ensuite demandé une réparation financière au nom du préjudice écologique, qui n’est pas défini par la Loi. Pour évaluer celui-ci, la LPO a proposé une méthode de calcul fondée, notamment, sur les espèces d’oiseaux touchés, leur rareté et leur vulnérabilité. Alors que la valeur du « vivant commercial », comme les huîtres, les moules et les poissons, est reconnue par les tribunaux, celle du « vivant non-commercial » ne l’a pas encore été.
Seule une première décision encourageante a été rendue, le 4 octobre dernier, par le Tribunal de grande instance de Narbonne, dans une affaire de pollution par pesticides. Ce dernier a reconnu que le Parc naturel régional de la Narbonnaise en Méditerranée, compte-tenu de sa mission légale, justifiait, « l’intérêt direct à obtenir réparation du préjudice environnemental subi par la patrimoine naturel du parc » du fait de la pollution en cause.
L’enjeu majeur de la LPO vise donc à ce que cette reconnaissance soit confirmée et étendue au « vivant non-commercial ». A l’heure où l’Europe s’est engagée à stopper la perte de la biodiversité d’ici à 2010 et alors même que la pollution des milieux marins reste un problème récurrent, l’affirmation en droit de l’existence du préjudice écologique serait un signe fort.
Le 16 janvier prochain, la LPO, représentée par son Président Allain Bougrain-Dubourg, son avocat Maître François-Xavier Kelidjian et une équipe ayant participé au plan de sauvetage des oiseaux mazoutés de l’Erika, assistera à la lecture par le Président Parlos du jugement rendu par la 11e Chambre correctionnelle du Tribunal de grande instance de Paris. Elle espère obtenir satisfaction et réparation, pour que soit enfin reconnue l’existence juridique du « vivant non-commercial ».
Décembre 1999 : naufrage de l’Erika
Le 11 décembre 1999, le pétrolier maltais l’Erika , chargé de 31 000 tonnes de fioul lourd, signale une avarie structurelle. Le 12 décembre, le navire se casse en deux à une trentaine de miles (environ 55 km) de la pointe de Penmarc’h (sud Finistère). Les deux morceaux de l’épave, distants de 10 km, coulent par 120 mètres de fond et près de 20 000 tonnes de fioul se déversent. Le 14 décembre, le premier oiseau mazouté s’échoue à Lesconil (Finistère sud). Ce sont ainsi plus de 400 km de côtes qui seront souillés, de la pointe de Penmarc’h (Finistère) à l’Ile de Ré (Charente-Maritime).
Les alcidés (oiseaux marins), représentent 88% des oiseaux mazoutés. 61 espèces différentes sont touchées : le guillemot de Troïl (82%), le fou de Bassan (2,6%), le pingouin torda (3,55%), la macreuse noire (5%) et la mouette tridactyle (0,7 %).
74 000 oiseaux mazoutés ont été comptabilisés et recueillis morts ou vivants (sur les 36 000 recueillis vivants, 20 000 ont pu être soignés) dans les 7 centres de collecte et de transit (dont 4 gérés par la LPO), 4 centres de transit médicalisés (dont 3 gérés par la LPO) et les 13 centres de sauvegarde (dont 4 gérés par la LPO). Malgré l’état souvent désespéré des victimes, l’ensemble des associations a réussi à sauver près de 2 200 d’entre eux.
12 février-13 juin 2007 : procès de l’Erika
Durant les 4 mois du procès de l’Erika, la LPO a été représentée aux audiences par son Président Allain Bougrain Dubourg, son avocat Maître François-Xavier Kelidjian, sa juriste Colette Carichiopulo, la responsable du programme LPO « Oiseaux en détresse Anne-Laure Dugué et cinq témoins :
– Gilles Bentz, Responsable de la Station LPO de l’Ile Grande ;
– Jean-François Louineau, Directeur en charge de la communication et du développement à la LPO au moment des faits, et actuellement Directeur Environnement, Eau, Agriculture et Tourisme à la Région Poitou-Charentes ;
– Jean-Louis Jammet, Directeur Environnement à la Ville de La Rochelle et chargé de la mise en place du centre de soins d’urgence à La Rochelle au moment des faits, et actuellement Directeur Environnement à la Communauté d’Agglomérations de La Rochelle
– Laurent Brucy, Responsable du centre de soins d’urgence de La Rochelle au moment des faits, aujourd’hui bagueur oiseaux ;
– Vincent Bretagnolle, Directeur de Recherches au Centre National de la Recherche Scientifique de Chizé.
Ces témoins (des scientifiques, des logisticiens ou des soigneurs) ont joué un rôle majeur pour gérer la crise de la marée noire et suivre ses conséquences. Ils ont présenté les actions et le rôle de l’association dans la mise en place d’un Plan national de sauvetage des oiseaux mazoutés de l’Erika (sauvetage, organisation des secours, accueil et soins prodigués aux oiseaux, logistique, solidarité de milliers de bénévoles et impact sur la faune sauvage).
Le Président de la LPO, Allain Bougrain Dubourg, a lui aussi été entendu comme témoin pour présenter les actions menées par la LPO et ses centaines de bénévoles ainsi que l’ampleur du travail accompli pour le sauvetage des oiseaux touchés par la marée noire. Il a notamment évoqué l’organisation des secours, le bilan des oiseaux affectés, le sauvetage et l’impact sur certaines espèces.
Les deux avocats de la LPO sont revenus sur les faits. Maître Ferré a qualifié la marée noire de l’Erika de « plus grande catastrophe ornithologique au monde ». Après avoir énuméré les incompétences et incohérences qui ont abouti au naufrage (Total, Rina, armateurs, etc.), ce dernier a souligné l’extraordinaire élan de solidarité humaine qui a suivi, précisant que le sentiment de colère des centaines de bénévoles n’était pas éteint. Il a rappelé que les pollutions aux hydrocarbures étaient appelées à se renouveler et expliqué que c’est le président Chirac en personne, alors à la tête de l’Etat, qui avait considéré que les pollueurs devaient être les payeurs.
Le 30 avril 2007, Maître François-Xavier Kelidjian, avocat de la LPO, a terminé sa plaidoirie sur ces mots de Victor Hugo : « Rien n’arrête une idée dont le temps est venu », évoquant la reconnaissance du vivant non-commercial.
L’Erika en chiffres
– Estimation des dégâts de la marée noire : 900 millions d’euros
– Remboursement par le FIPOL : 180 millions d’euros
– Estimation du nombre d’oiseaux morts : 150 000
– Nombre d’oiseaux collectés vivants ou morts : 74 000 (36 000 recueillis vivants dont 20 000 arrivés vivants aux centres)
– Quantité de déchets mazoutés ramassés : 230 000 tonnes
Plus d’informations :
– www.lpo.fr/detresse/erika/ (consultation de l’actualité et inscription à notre newsletter).
– Anne-Laure DUGUE, Responsable du Programme LPO « Oiseaux en détresse » 05 46 82 12 34 / 06 74 28 60 86
Partie civile dans le procès de l’Erika, le MNLE a demandé par la voix de son avocat maître Roland Weyl réparation du préjudice subi du fait des pollutions du littoral suite à la catastrophe du 19 décembre 1999 :
– pour le travail de ses militants engagés dans les opérations de dépollution qui s’ensuivirent,
– pour le préjudice moral en tant qu’association de défense de l’environnement.
Le MNLE estime que les conclusions du verdict le dédommagent de manière satisfaisante.
Maître R. Weyl a plaidé la solidarité des prévenus dans la responsabilité du naufrage de l’Erika sans se prononcer sur la culpabilité des uns et des autres. C’est le « système », responsable de « négligences et de complaisances », qui a conduit à la catastrophe : « il n’y aurait pas de pavillons de complaisance si chacun n’y trouvait pas son compte » et signalant que Total n’avait rien perdu puisque sa cargaison était assurée.
Le « système » a été brillamment décrit par le président Parlos lors de l’audience du 7 mars 2007 , lorsqu’il stigmatisait le navire âgé de presque 25 ans, propriété d’une société maltaise contrôlée par deux sociétés libériennes et détenue par un Italien dont la banque est en Ecosse, une société de classification italienne, un Etat du pavillon maltais, des marins indiens, un affréteur à temps immatriculé aux Bahamas et une société agissant pour son compte basée en Suisse, une filiale de l’affréteur au voyage TOTAL installée au Panama, des courtiers vénitien et londonien, une cargaison chargée dans un port français et à destination d’une compagnie d’électricité italienne, beaucoup de sociétés intermédiaires n’ayant aucun personnel.
Un intervenant lors du procès dira, sans se rendre compte de la connotation de son propos mais sous les sourires de l’assemblée, que le commerce international par mer était le plus vieux métier du monde…
Pour le MNLE l’intérêt du jugement rendu consiste essentiellement dans la condamnation solidaire du propriétaire du navire, de son exploitant, de la société de classification et de l’affréteur Total ainsi que dans la reconnaissance du préjudice moral subi par tous ceux qui considèrent que l’environnement est un bien collectif global dont la détérioration exige réparation en particulier pour ceux qui se battent pour son intégrité. Ce procès est une étape importante pour la sécurisation des transports maritimes.
En acceptant de payer, TOTAL reconnaît sa responsabilité. La décision du tribunal crée une nouvelle jurisprudence du préjudice moral favorable à la défense de l’environnement par les associations agréées.
Dans ces conditions le MNLE a décidé de ne pas se pourvoir en appel de ce jugement.
Pantin le 27 janvier 2008