La loi Alur du 24 mars 2014 crée un cadre juridique pour l’habitat participatif.
Maintenant, les associations de citoyens concernées, les professionnels et les bailleurs sociaux attendent plusieurs décrets d’application, cruciaux selon eux pour leur permettre de lever des blocages importants, en matière de financement notamment, expliquent plusieurs acteurs, contactés mi-avril 2014 par AEF Habitat et Urbanisme. Pour l’heure les appels à projets concernant l’habitat participatif se multiplient sur le territoire. Le dernier a été lancé le 11 avril par le conseil général des Côtes d’Armor pour soutenir cinq projets via une enveloppe globale de 50 000 euros, tandis que la Ville de Paris devrait communiquer sous peu sur le sien.
La loi Alur est une "reconnaissance nationale de l’utilité publique de l’habitat participatif [1], c’est très bien", se réjouit le 16 avril auprès d’AEF Habitat et Urbanisme, Stefan Singer, membre fondateur du Rhap, le réseau national des acteurs professionnels de l’habitat participatif créé en 2011. "Les nouveaux montages juridiques [coopératives d’habitants d’une part, et sociétés d’attribution et d’autopromotion d’autre part] sont des évolutions qui vont dans le bon sens", poursuit-il, "mais nous attendons désormais des décrets d’application". "Celui relatif à la garantie financière est [notamment] très important", prolonge Valérie Morel, salariée de l’association Habicoop, membre de la plate-forme Coordin’action, qui regroupe plusieurs associations citoyennes autour de projets d’habitat participatif, également contactée par AEF Habitat et Urbanisme. Elle insiste sur la "nécessité d’avoir des outils financiers pour les montages de projet coopératif" jusqu’ici "fragiles", les banques hésitant actuellement à prêter aux particuliers dont les projets sont peu sécurisés financièrement.
"À part la CDC, personne ne prête sur 40 ou 50 ans. L’idée est de demander à la Caisse de mettre en place une ligne de financement expérimental" pour les groupes porteurs de projets, signale Vincent Lourier, directeur de la FNSCHLM et membre fondateur de la DCI (démarche collective d’innovation) sur l’habitat participatif - un groupe de travail constitué fin 2012 autour de l’ensemble des réseaux engagés [2] - joint le 23 avril. Après 18 mois d’échanges, cette démarche arrive à son terme mais pourrait être prolongée par un "comité de suivi d’un plan de mobilisation national et régional" pour l’habitat participatif, à partir de l’automne prochain. D’ici mi-juin sera formalisée par écrit "une feuille de route de ce qu’il reste à faire, et notamment le service après vote d’Alur" explique-t-il.
Avancer sur la garantie d’achèvement
Il ajoute que des discussions sur la garantie d’achèvement sont engagées, ce que confirme le ministère. Alors que la loi Alur stipule que "chaque société doit […] justifier, avant tout commencement de travaux de construction, d’une garantie permettant de disposer des fonds nécessaires à l’achèvement de l’immeuble", un décret en Conseil d’État doit en préciser sa nature et ses modalités. Pour "dépasser ce blocage", Vincent Lourier, Valérie Morel et Stephan Singer appellent à ce qu’il soit vite publié. Contacté par AEF Habitat et Urbanisme le 23 avril 2014, le ministère du Logement ne précise pas le calendrier mais explique que son "élaboration se fera en concertation étroite avec les principales associations liées au mouvement coopératif et de l’habitat participatif".
Autre décret en Conseil d’État important, selon Valérie Morel, de l’association Habicoop : celui relatif aux apports en industrie pour les coopératives d’habitants. L’article 47 d’Alur stipule en effet que "des parts sociales en industrie, correspondant à un apport travail, peuvent être souscrites par les coopérateurs lors de la phase de construction ou de rénovation du projet immobilier ou lors de travaux de réhabilitation du bâti, sous réserve notamment d’un encadrement technique adapté et d’un nombre d’heures minimal". Les conditions d’application et le nombre minimal d’heures doivent désormais être précisés.
Faciliter le partenariat avec le mouvement HLM
Le nouveau cadre législatif vise encore à faciliter le partenariat avec le mouvement HLM. Sur ce point, "certains freins ont été levés par Alur, tels que la capacité pour un bailleur social à être un prestataire de services pour l’habitat participatif, de construire pour le compte d’une coopérative d’habitants, ou encore de souscrire au capital pour marquer son engagement", se félicite Vincent Lourier de la FNSCHLM. La loi Alur encadre aussi en partie les conditions d’attribution d’un logement social en habitat participatif, rappelle-t-il. "Reste à améliorer la question du financement des parties collectives", poursuit Vincent Lourier. Alors que sur les projets d’habitat participatif, la proportion d’espaces collectifs est importante, "les quote-parts ne portent pas sur ces parties collectives, ce qui est un point compliqué pour les bailleurs sociaux et fait l’objet d’un travail technique actuellement avec la Caisse des Dépôts", explique-t-il. "Il faut faciliter le montage, sortir de la seule expérimentation."
Pour autant, la FNSCHLM relève un intérêt croissant pour ces dispositifs. "Il ne se passe pas une semaine sans qu’un organisme HLM ne se renseigne. Certains de nos adhérents en sont à leur deuxième ou troisième opération d’habitat participatif ! Une fois que le process est mis en place, il y a une vraie politique de développement", se réjouit Vincent Lourier, précisant que la fédération "accompagne tout le monde" parmi les bailleurs sociaux, "les offices, les coopératives comme les ESH". Des actions de formation et de sensibilisation sont organisées.
Les collectivités, importantes pour l’accès au foncier
Les collectivités, elles aussi, se mobilisent.
Un guide sera édité à la rentrée par les membres de la démarche collective d’innovation, à leur destination, sur le volet de la maîtrise du foncier, signale Vincent Lourier. Pour l’heure, "une quarantaine de collectivités, villes, agglomérations et conseils régionaux font partie du RNCHP (réseau national des collectivités pour l’habitat participatif), explique Alain Jund, porte-parole du réseau à AEF Habitat et Urbanisme, le 17 avril 2014. "Je sens beaucoup d’intérêt pour l’habitat participatif. Les collectivités prennent conscience des effets collatéraux pour un territoire avec de tels projets, qui dépassent la seule satisfaction de l’envie de quinze ménages et de doux rêveurs utopistes : des espaces partagés, des manières de faire, etc.", poursuit-il, évoquant quelques collectivités pionnières telles que Bordeaux, Grenoble, Montreuil, Lille, Rennes, Strasbourg Toulouse, Villeurbanne ou encore les conseils régionaux d’Île-de-France et de Rhône-Alpes, et les départements du Bas-Rhin et de la Meurthe-et-Moselle. L’appel à projets de Paris, annoncé en octobre 2013 devrait être lancé dans les jours qui viennent.
À son tour, le 11 avril dernier, le conseil général des Côtes-d’Armor a lancé un appel d’offres [3] pour financer cinq projets, à hauteur de 10 000 euros chacun, soit sous la forme d’une subvention d’équipement pour participer à la maîtrise du foncier ou à l’acquisition du bien, soit sous la forme d’une subvention de fonctionnement pour des études préalables ou la phase de maîtrise d’œuvre. À cela s’ajoutent "l’organisation d’un temps d’échanges ou de visites facilitant l’avancée des démarches auprès [de] différents groupes" et "une offre d’accompagnement technique de la part du CAUE, qui y a trouvé un intérêt important" précise Céline Schoubert Le Put, cheffe du service logement de la collectivité, jointe le 16 avril 2014. "Notre territoire a une spécificité, il y a plus de 70 % de propriétaires occupants, essentiellement en maison individuelle ; sur le parc locatif, le parc social s’élève seulement à 7 %. Ce soutien aux initiatives citoyennes permet donc d’offrir la possibilité d’une alternative, de montrer que l’on peut faire confiance à des habitants qui ont la capacité de mener un projet", conclut-elle.