Le semis
Les sachets de graines offerts par le collectif sont ouverts et on s’efforce de répandre précautionneusement les petites semences dans chaque sillon. Une fois cette première parcelle semée, on recouvre de terre et on passe à la suivante. Entre temps, les gens ont commencé à arriver, et c’est un peu plus posés et réchauffés par ce que nous venons de faire que nous entamons le deuxième semis. Nous sommes à présent un peu plus d’une vingtaine autour du jardin et sachant que notre souhait initial était quand même de faire semer le plus grand nombre, nous donnons des sachets de graines de blé et invitons les gens à venir semer sur notre parcelle, ce qu’ils font avec plaisir.
Il fallait aussi dire deux, trois mots sur ces semences "illégales", mais la problématique des semences étant complètement nouvelle pour nous, nous ne pouvions que bredouiller quelques phrases, histoire de montrer que le sujet, complexe s’il en est, n’était pas complètement inconnu de nous. Thierry, un ami faucheur, rencontré au colloque, intervient sur la question des OGM et nous lisons l’appel du collectif, contre les manipulations et le fichage du vivant et pour le droit des paysans à pouvoir utiliser gratuitement leurs semences. L’action se termine tranquillement et nous passons la main aux petites graines semées, en espérant qu’elles nous fassent de beaux épis.
La levée
Le temps passe… la levée se fait au mieux, les petites herbes se montrent. En janvier, la neige les recouvre pour partie, ces jolies petites pointes vertes sur ce tapis blanc paraissent bien résistantes et semblent se moquer du froid qui les enserre. Puis la neige disparaît et laisse la place à l’épanouissement progressif de ces semences : le tallage, la montaison, l’épiaison, la floraison et enfin, la formation du grain. Entre temps, nous suivons la poussée de cette étonnante céréale, très admiratifs de ce que la nature est capable de faire.
Le fauchage
Puis arrive l’été et le traditionnel moment du fauchage. En fait, on ne savait pas trop quand se lancer, aucun de nous n’ayant jamais fauché de blé, nous étions un peu dans l’attente du bon moment… Le blé semblait bien mûr, de beaux blés dorés de toutes tailles et de toutes formes (barbus pour certains)… J’ai appris plus tard que ce blé population (composé de différentes variétés de blés) avait des noms aussi poétiques que… la Touselle, le Poulard, le Jame, le Talisman, le Miracle…
Et puis finalement on s’est décidé à faucher et avec nos petits outils (faucille et sécateur compris) et sous un beau soleil de juillet, à cinq, six, nous avons commencé à faucher, sans oublier de prendre soin de sélectionner les plus beaux épis pour en replanter les graines pour l’année prochaine.
Nous avions aussi invité Marc pour l’occasion. Marc fait partie d’une association qui a construit un four à pain associatif à Montreuil en 2008 "Salut les Co-pains". En fait, au moment du semis, nous ne pensions pas aller jusqu’à faire un pain avec notre blé, mais c’est en voyant ce blé pousser avec tant de majesté et en découvrant l’existence de ce four à pain collectif que l’idée à germée dans nos têtes d’apprentis céréaliers, avant de finir par devenir réalité.
Après le fauchage, nous nous sommes retrouvés avec un grand tas de paille et de blé, dont on ne savait pas forcément trop quoi faire. Et c’est en y regardant de plus près, que nous nous sommes aperçu qu’il fallait, si on voulait réussir à obtenir de la farine de tout ça, en séparer l’enveloppe du grain. C’est l’étape du battage qu’il nous fallait passer.
La battage
N’ayant pas de fléau et ayant une quantité trop peu importante de graines, nous nous sommes décidés à décortiquer les grains à la main. C’est au début du mois d’août que nous nous sommes lancés dans ce travail un peu laborieux. Réunis tous en cercle sur une dalle en béton d’un pavillon de banlieue, nous devions parvenir à séparer les grains de la paille. A la main d’abord, en frottant les épis et puis en essayant de trouver quelque chose qui pourrait simplifier notre tâche, rouleau à pâtisserie, pot de confiture qu’on faisait rouler sur l’épi… Mais finalement, les mains se sont révélées plus pratiques et après un peu moins de deux heures de travail nous avions fini par décortiquer tous nos épis.
Le vannage
Avec toute cette paille et ce grain mélangé, nous ne pouvions toujours pas moudre notre blé. Une nouvelle étape était nécessaire, celle du vannage, il nous fallait trier nos grains. Certains plus avertis que d’autres connaissaient un peu la technique, qui se faisait autrefois en période de vents forts. Avec un van en osier et un geste adapté, on pouvait séparer l’enveloppe, plus légère que le grain. Pas de grand vent le jour où nous nous réunissons, mais un vieux ventilateur, parfois utile pour les périodes de canicules. Et c’était reparti, à plusieurs et en se relayant autour du ventilateur pour trier les précieuses graines.
Résultat : près d’un kilo huit de blé et le tout rassemblé dans un grand saladier. Voyant cela, nous ne pouvions nous retenir d’y plonger les mains, happés par l’envie de toucher toutes ces graines récoltées et riches d’un nouveau trésor de petites perles d’or.
Un léger problème toutefois était apparu au moment de ce décorticage collectif. Nous avions constaté une odeur bizarre de poisson pourri et puis certains grains semblaient malades et se disloquaient en une étrange poudre noire. Méconnaissant la chose, nous avons appris plus tard qu’il s’agissait de la carie du blé, un champignon très répandu qui peut faire perdre une récolte ; la farine, du fait de cette odeur trop forte, devenant inutilisable. Heureusement, la contamination était faible et ne nous a pas empêchés de faire notre pain.
La mouture
L’étape suivante était celle de la mouture. Divers solutions s’offraient à nous et notamment celle d’utiliser des moulins à café manuels ou électriques. Mais ça n’était pas très satisfaisant dans la mesure où nous souhaitions vraiment que ce premier pain aux semences anciennes soit fait dans les règles de l’art. Nous réussissons à obtenir le contact d’Olivier Ranke et fixons rapidement un rendez-vous avec lui. Olivier est paysan éleveur et céréalier dans le Val d’Oise, il fait pousser des blés anciens sur sa ferme et surtout, possède un moulin à meule de pierre, l’idéal pour moudre notre blé.
Et c’est par une belle journée de septembre que nous partons pour la ferme de la bergerie, située dans le parc Régional du Vexin en Ile de France. Nous rencontrons Olivier qui nous présente sa ferme et nous montre son moulin, un de ceux des frères Astrié, très largement utilisé par les paysans boulangers en France.
Il nous explique tout le processus, introduit notre blé dans le fameux moulin et en ressort un bon kilo de farine semi-complète. Il nous donne même quelques kilos supplémentaires de sa variété "Jame" pour que nous puissions faire d’autres pains avec des farines issues de blés paysans. La rencontre était fructueuse et très sympathique et nous finissons la journée dans le splendide parc du domaine de Villarceaux qui jouxte la ferme d’Olivier.
Cette rubrique fait écho au dossier publié dans Passerelle Eco n°36 sur "Montreuil Ville Comestible" et dont on trouve dans cette rubrique "Villes en Transition" un ensemble d’aspects développés :
– D’autres pains sont possibles.
– Le blé de Montreuil, du semis à la farine.
– Du blé aux murs à pêches ?
– La naissance du jardin des murs à pêches.
– De l’or brun en partage
– Le jardin partagé de la dalle Hannah Arendt, un potager qui ne manque pas d’air
– De l’économie sociale et solidaire à Montreuil.
– La marmitte d’Eugène
– Les Filles du facteur, le crochet pour recycler et mener des actions avec le Sud.
– Un café couture à Montreuil
Des initiatives se développent pour semer des céréales en ville et faire participer les usagers. Un article vient de paraître à ce sujet, avec un focus sur Grenoble et Paris : http://www.lavillepousse.fr/semer-des-cereales-en-ville-idee-qui-germe/