Une économie au service du bonheur et une consommation citoyenne sont deux idées séduisantes. Peuvent-elles vraiment se rencontrer ?
D’abord, je définirai les mots et expressions d’économie du bonheur, de bonheur et de consommation citoyenne. Ensuite, je présenterai les relations entre consommation, valeur et bonheur . Enfin, je montrerai les limites de la consommation, fût-elle citoyenne, dans le cadre de l’économie du bonheur.
I Définitions
A) Qu’est-ce que l’économie du bonheur ?
L’économie du bonheur n’est pas l’économie du bien-être
– L’économie du bien-être fonde ses analyses sur le bien-être ce qui sous-entend le bien-être
objectif : santé, éducation, environnement.
L’économie du bonheur fonde ses analyses sur le bonheur qui est un état conscient subjectif
– Le bonheur étant un état subjectif, les données pour le mesurer sont des données subjectives
– Exemple : échelle d’auto-évaluation étalonnée de 1 à 7 où l’on demande aux personnes à quelles point elles sont heureuses.
L’économie du bonheur se donne pour objectif de favoriser le bonheur dans le domaine économique et dans les domaines qui sans être économiques peuvent avoir une dimension économique.
B) Qu’est-ce que le bonheur ?
Diverses traditions du bonheur
– Tradition hédoniste
le bonheur, c’est le plaisir, mais un plaisir maîtrisé
– Tradition eudémoniste
si le plaisir fait partie du bonheur, le bonheur est aussi et surtout dans la culture des vertus
– Théories du désir
Elles lient le bonheur à la satisfaction des désirs individuels.
Ce qui est bon pour une personne, c’est ce que la personne considère comme
bon pour elle.
La théorie économique s’est construite sur ça.
– théories des listes objectives : identifient le bonheur à une liste de critère qu’il faut satisfaire
Deux définitions récentes
Le bonheur en tant que bien-être subjectif :
- bonheur déclaré
- 3 dimensions : émotions positives, émotions négatives, satisfaction.
- Pour les émotions négatives, il s’agit de les éviter
Le « bonheur authentique » de Martin Seligman (grand psychologue étasunien) a 3 dimensions principales :
– une vie plaisante
– une bonne vie
une vie dans laquelle les forces de caractère sont utilisées dans des
domaines importants de la vie afin d’obtenir de la satisfaction
– une vie qui a du sens
c’est-à-dire une vie affiliée à quelque chose de plus grand que soi
C) Qu’est-ce que la consommation citoyenne ?
C’est la prise en considération des conséquences sociales et environnementales dans les actes d’achat.
Participer ainsi à la transformation des modes de production et des circuits commerciaux
La consommation citoyenne s’appuie sur des principes, elle est :
– Solidaire
– Juste : idée du prix juste
– Directe : augmenter la marge du producteur en diminuant les intermédiaires
– transparente
– respectueuse de l’environnement
L’économie citoyenne n’est pas tournée spécifiquement vers les PED
– Comme dimension écologique, elle devrait plutôt être tournée vers le local
Pour certains, consommation citoyenne peut aller au-delà de ça : un engagement politique peut être ajouté : faire changer les lois
Des limites qui peuvent être floues :
– Exemple des produits exotiques de grande consommation comme la banane : acheter loin, produire sur place ou ne pas acheter ? Opposition ici des valeurs sociales et environnementales
– Est-il citoyen d’acheter le dimanche ? Si vous êtes d’une droite dure sur ce point ou anticlérical, pourquoi pas, ça peut être vos valeurs.
– Qu’est-ce qu’un prix juste ? Pourquoi les pays pauvres sont pauvres : faible productivité de l’agriculture donc beaucoup d’agriculteurs, le développement passe par moins d’agriculteurs. En Europe, ça s’est fait par la pression par les prix, par des prix qui auraient pu être qualifié d’injustes.
II Consommation, valeurs et bonheur
A) La consommation citoyenne s’inscrit dans le bonheur en tant que liste de critères objectifs
Les listes objectives, comme la consommation citoyenne, mettent en avant des critères sociaux et environnementaux
Le bonheur défini en tant que liste de critère objectifs est la plus mauvaise des approches sur le bonheur.
– Problème de définition de choix des différents critères objectifs
– Pour un même critère qui ne ferait pas discussion, problème de définition
Exemple : l’éducation. Qu’est-ce qu’une bonne éducation ? Combien d’année à l’école ? Dans quelles conditions de travail ? Avec quel programme scolaire ?
– Cela n’éclaire pas sur la nature même du bonheur. Le bonheur est un état subjectif que les théories des listes cherchent à réduire à des critères objectifs.
B) Suivre ses valeurs favorise son bonheur
Pas d’étude sur la consommation citoyenne et le bonheur. Que peut-on dire à partir des études existantes ?
La consommation citoyenne est l’expression et l’affirmation de valeurs : solidarité, équité, respect de l’environnement.
Que veut dire le mot valeur ?
– Les valeurs sont des croyances pérenne qui nous disent quels sont les buts préférables à d’autres ; elles sont des guides
– Permettent de nous évaluer et d’évaluer les autres
– Nous ne les suivons pas toujours, certaines situations peuvent favoriser ou non leur respect (exemple : plus facile de consommer citoyen lorsque l’on a l’habitude et la possibilité de dépenser moins que ce que l’on gagne)
– Elles servent de justification à nos actes
– Leur hiérarchisation est utilisée pour résoudre les conflits
– Les groupes peuvent se former autour de valeurs
Quelles sont les valeurs que l’on rencontre chez les êtres humains ?
Schwartz et ses collègues ont défini 10 valeurs universellement reconnues : l’universalisme, la bienveillance, le conformisme, la tradition, la sécurité, le pouvoir, la réussite, l’hédonisme, la stimulation et l’autonomie.
Ces valeurs sont organisées selon deux axes :
– du conservatisme à l’ouverture au changement
– du renforcement du soi à la transcendance
– si deux valeurs sont proches, alors il est possible pour une personne de passer facilement de l’une à l’autre ; si elles sont opposées, il est peu probable qu’une même personne fasse sienne les deux.
Est-ce que les valeurs favorisent le bonheur ?
Trois chemins théoriques des valeurs au bonheur :
– La perspective des valeurs saines
Certaines valeurs sont intrinsèquement liées au bonheur et d’autres non o les valeurs liées sont les valeurs intrinsèques (autonomie, relation aux autres,
compétences, participation à la communauté)
– La perspective des buts autoconcordants
Les buts que l’on se fixe doivent être en accord avec les valeurs pour favoriser le bonheur
– La perspective de la congruence des valeurs personnelles et sociétales
Les valeurs personnelles doivent être en accord avec les valeurs sociétales pour favoriser le bonheur
Qu’en est-il dans la réalité ?
En ce qui concerne la perspective des valeurs saines, il y a bien des corrélations, mais elles sont faibles.
En ce qui concerne la perspective des buts autoconcordants : quelles que soit les valeurs personnelles, suivre des buts autoconcordants favorise le bonheur
En ce qui concerne la perspective de la congruence des valeurs personnelles et sociétales, la congruence des valeurs favorise le bonheur et la non congruence l’affecte
Conséquence :
une personne qui donne de l’importance à la consommation citoyenne du fait de ses valeurs a tout intérêt pour son bonheur de consommer citoyen.
Deux problèmes :
– Est-ce que consommer citoyen est la meilleur stratégie pour le bonheur d’une telle personne ?
– Consommer citoyen n’appartient pas au profil de valeur de tout le monde, donc peut-être peu d’intérêt de consommer citoyen pour les personnes dont ce n’est pas le profil de valeur
C) La citoyenneté et l’équité : sacrifier un peu de bonheur pour un monde meilleur ?
La psychologie positive, qui est une approche qui se développe aux Etats-Unis depuis 1998 et qui s’intéresse à ce qui va bien chez les êtres humains, ne met pas seulement en avant le bonheur, elle met aussi en avant le développement des forces de caractère et des vertus.
Parmi ces forces de caractère : équité et citoyenneté
L’équité
L’équité naît du jugement moral, qui est le processus par lequel on juge ce qui est bien et ce qui est mal
En tant que force de caractère, l’équité s’exprime par
– la recherche de justice dans les relations sociales
– le développement de compétences afin de trouver des arrangements équitables
– la sensibilité à l’injustice sociale
– la compassion pour les autres
La citoyenneté
– identification à une communauté
– avec un sentiment d’obligation à son égard
– les personnes qui ont cette force cherchent à œuvrer pour le bien de la communauté plutôt que pour le leur - cela peut se manifester par le vote, le bénévolat, dons d’argent pour des œuvres, la
participation à des manifestations.
Quand on est heureux, on peut sacrifier un peu de bonheur pour autre chose.
Exemple : les personnes les plus heureuses ne sont pas celles qui réussissent le mieux à l’école et ne sont pas celles qui ont les revenus les plus hauts.
Pour sacrifier un peu de bonheur, il faut vraiment que ce sacrifice veuille dire quelque chose pour la personne qui fait ce sacrifice.
Dans le cadre de l’économie du bonheur, est-ce que la consommation citoyenne est une bonne stratégie pour être plus heureux et vivre dans un monde plus harmonieux ?
III Les limites de la consommation, fût-elle citoyenne
A) Consommation, revenus et bonheur
La consommation est liée aux revenus
– On peut consommer les revenus sitôt acquis
– On peut consommer par anticipation des revenus futurs grâce à l’obtention de prêts dont
la valeur dépend, normalement, des revenus futurs anticipés
– On peut épargner ses revenus, ce qui est considéré comme une consommation différée
Est-ce que les revenus, donc la capacité de consommation, rendent heureux ? Dis autrement : "Est-ce que l’argent fait le bonheur ? "
La relation entre bonheur et revenus n’est pas la même pour tous : quand on est pauvre, plus de revenu c’est souvent plus de bonheur ; à partir d’un seuil qui varie selon les études, plus de revenu ce n’est pas ou quasiment plus, plus de bonheur.
Cette idée est vraie au niveau international (comparaison entre pays riches et pauvres) et elle est vraie également à un niveau national (entre riches et pauvres d’un même pays)
La croissance économique dans les pays riches n’améliore pas le niveau de bonheur.
Etude de Diener et Biswanger-Diener (2005) : différents groupes de personnes ont évalué leur bonheur sur une échelle de 1 à 7
Résultats par ordre croissant :
– Sans abris de Californie : 2,8
– Sans-abris de Calcutta : 3,2
– Habitants des taudis de Calcutta : 4,4
– Etudiants de l’Illinois : 4,7
– Amish (chrétiens vivant comme il y a plusieurs siècle) : 5,1
– Maasaï traditionnels (peuple du Kenya) : 5,4
– Les grandes fortunes du magazine Forbes : 5,8Conclusions :
– Les sans-abris sont les moins heureux
– Des personnes qui vivent dans une pauvreté choisie sont très heureuses
– Les personnes qui se déclarent les plus heureuses sont les plus riches
– L’étude ne dit pas s’il y a des liens de causalité et si oui dans quelle direction.Le bonheur coûte moins cher qu’on ne pense :
– Adaptation et comparaison sociale
– Le bonheur a de nombreux déterminants, et l’argent n’en est qu’un parmi d’autres
– Les valeurs intrinsèques (développement personnel, intimité, participation à la communauté) sont plus fortement liées au bonheur que les valeurs extrinsèques (argent, pouvoir, statut)
B) Le paradoxe du choix
Les choix de consommation ont explosé :
– de plus en plus de marques avec la baisse des coûts de production
– des biens et des services de plus en plus divers.
Deux grandes stratégies de choix
– La maximisation : chercher le meilleur produit
– La satisfaction : chercher le premier produit qui nous satisfait
Les maximiseurs, ceux qui adoptent une stratégie de maximisation, sont moins heureux que les satisfaiseurs, ceux qui adoptent une stratégie se satisfaction
Schwartz et ses collègues (2002) ont développé une échelle d’auto-évaluation qui permet de voir à quel point nous adoptons une stratégie plutôt qu’une autre
L’économie du bonheur est une remise en cause de la consommation telle qu’elle est vécue aujourd’hui, où on tend à faire croire que "consommation= bonheur".
Conclusion : la consommation citoyenne
Dans la perspective traditionnelle de l’économie, le problème de l’efficacité économique de la consommation citoyenne :
– Moins d’intermédiaire, moins d’emplois, mais des personnes qui peuvent travailler dans de nouveaux secteurs : diminuer le nombre d’intermédiaire peut être une rationalisation économique
– Garantir un prix, c’est aussi ne plus sélectionner les plus efficaces.
Si l’on considère qu’il s’agit de faire en sorte que l’économie participe au bonheur, la question est alors "quelles sont les bonnes stratégies pour que l’économie favorise le bonheur".
La consommation n’est pas un destructeur absolu de bonheur, mais il n’est pas besoin d’avoir des rapports économiques avec une personne pour que la relation soit de qualité !